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Dans sa nouvelle vie, l’ancien moine a ouvert un restaurant tibétain.
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Dorjee, les momos et le souffle du Tibet

Derrière ses momos se cachent l’histoire d’un exil et une envie de liberté inextinguible. Le Tibétain Dorjee Ring-chen a trouvé à Strasbourg un refuge pour vivre et faire vivre sa culture à travers sa cuisine.

Il faut une vingtaine d’heures pour rallier Lhassa en avion depuis la France. Dorjee Ringchen, lui, a mis presque dix ans pour faire le trajet en sens inverse. Dix ans, et quasiment trois vies.

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 Pour des photos du dalaï-lama 

Il aime l’anecdote: c’est un 14 juillet, en 2011, que Dorjee a débarqué en France, par le train, Gare de l’Est à Paris. Le bout du monde, pour ce doux gaillard de 37 ans, qui a grandi dans un Tibet placé sous l’autorité chinoise depuis plusieurs décennies. Car Dorjee a vécu sa première vie dans la préfecture autonome tibétaine de Gannan. C’est là qu’il est entré à dix ans dans un monastère, avant de rejoindre celui, bien plus important, de Labrang, l’un des grands représentants de l’école bouddhiste Gelugpa, à laquelle sont rattachés le dalaï-lama et le panchen-lama. Son destin semblait tout tracé : « On allait au cours le matin dès qu’on pouvait distinguer les détails de la paume de notre main, puis on enchaînait avec la méditation et le débat sur les textes jusqu’à la fin de la journée. »

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Mais le quotidien de Dorjee est entré en collision frontale avec le durcissement, au tournant des années 2000, du contexte politique et des lois dans sa province. Il lui a valu l’expérience des geôles chinoises, six mois durant, pour, dit-il, « avoir conservé des photos du dalaï-lama ». Et une prise de conscience en prime: « Je ne pouvais plus vivre comme je l’entendais. » Alors, Dorjee a fui. Fin 2001, sans papiers d’identité, Dorjee rallie Lhassa où il vivote pendant de longs mois. Son objectif, c’est« la frontière avec le Népal». Non sans mal, le Tibétain trouve six compatriotes volontaires pour tenter l’aventure, dont sa future femme, Tatso.

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Le groupe tente sa chance en février 2003, marchant, sans le savoir, droit vers la catastrophe. À quelques encablures de la frontière, il tombe sur les militaires et se disperse définitivement dans la montagne. La mésaventure vaut à Dorjee de se perdre de longues semaines dans l’Himalaya avec Tatso. Le couple échappe de peu à la mort grâce à l’aide de nomades qui lui permettent de reprendre le chemin de l’Everest et, finalement, de franchir la frontière de nuit, sans un bruit. Nous sommes en mai 2003 lorsque Tatso et Dorjee arrivent, en-fin, à proximité du premier village népalais : Namche Bazar. Sans le sou, affamés, les vêtements en loques et dans un état d’épuisement avancé.

 

Paradoxalement. c’est là que la deuxième vie de Dorjee a démarré. Alors que Tatso et lui ne savaient pas comment faire pour entrer dans le village sans se faire remarquer, ils ont croisé la route de trekkeurs belges et français. « Ils nous ont donné à manger, de l’argent, une chambre pour nous reposer et de quoi nous habiller pour passer inaperçus et rejoindre Katmandou. » Le précieux coup de pouce a remis le couple sur pied : pris en charge par un centre de réfugiés, Tatso et Dorjee ont dans cet élan inespéré obtenu des papiers qui leur ont permis de s’installer en Inde, à Dharmsala, terre d’accueil du 14e dalaï-lama. « On y a vécu pendant neuf ans, se souvient Dorjee. J’ai commencé à vendre des momos dans la rue, avant de suivre une formation de cuisinier. »

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C’est aussi en Inde qu’on a eu nos deux premiers enfants. » Un troisième est né en France, à Strasbourg en 2015.

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Enfin, l’Europe !

La France ? L’idée ne s’est pas imposée immédiatement. Mais le statut temporaire des documents d’identité indiens a finalement poussé Dorjee à chercher de nou-veaux horizons. À la faveur d’un contrat de travail de deux mois en Pologne, il a saisi l’occasion de rester en Europe. « Et le pays où j’avais le plus de chances de pouvoir faire venir ma famille, c’était la France. »

C’est le 14 juillet 2011, donc, qu’il a démarré sa troisième vie. À Paris, Dorjee a un temps, été pris en charge par les services du 115, avant d’être envoyé vers Châlons-en-Champagne pour être hébergé en foyer. Et puis le monde a changé avec l’obtention, le 17 février 2012, de son statut de réfugié. C’était le signal que tout pouvait recommencer. Ses sauveurs de la montagne lui montreront une fois encore la voie, en mobilisant des amis alsaciens. Grâce à eux, en décembre 2012, Dorjee découvrira la capitale de l’Europe en plein marché de Noël. Le loge-ment suivra en avril 2013. « La famille n’a pas tardé, elle est arrivée le 7 mai. »

Dorjee n’est pas du genre à rester inactif, alors il a enchaîné les boulots dans les restaurants de la localité. Jusqu’à finalement en arriver au constat qu’il avait peut-être, lui aussi, une carte à jouer. Naturalisé français le 6 juin 2016, il a eu l’idée de capitaliser sur le savoir-faire culinaire acquis tout au long de ses années d’exil. Dorjee a ouvert son restaurant « Momos tibétains » dans la Grand’rue le 23 décembre de la même année. Et ça a fonctionné, le restaurant ne désemplit plus guère depuis l’an dernier. « C’est encourageant, ça me donne même des idées pour la suite, notamment l’ouverture d’un restaurant où je pourrais consacrer la moitié de l’espace à la méditation. » Le Tibétain devenu français n’a, faut-il dire, pas oublié qui il était. « Je suis marié, mais je respecte toujours autant que possible les préceptes qui régissent la vie du moine. » Le cœur en paix, et un espoir, désormais, de retrouver ses racines : Dorjee vient d’être autorisé par les autorités chinoises à retourner brièvement au Tibet pour retrouver sa famille...

Nicolas Blanchard - DNA 14 avril 2018

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